Étienne-Alexandre Beauregard: Pourquoi même les athées n’aiment pas la « guerre contre Noël »
Même les laïcs comprennent qu'il s'agit d'attaques contre notre patrimoine.

Chaque année, presque par habitude, le commentariat s’enflamme sur la « guerre contre Noël », soit l’effacement des symboles chrétiens autour d’une fête qui commémore pourtant la naissance de Jésus-Christ. Le remplacement de « joyeux Noël » par « joyeuses fêtes », l’apparition de « bûches festives » à la place des bûches de Noël ou le retrait des crèches dans les bâtiments publics en sont autant de symptômes, prompts à déclencher l’indignation.
Portée dans l’actualité au début des années 2000 par des commentateurs américains comme Bill O’Reilly et John Gibson, cette controverse a démontré une remarquable aptitude à demeurer dans le temps. Voyons-y la preuve que les symboles ont une charge importante, qui dépasse de loin leur seule présence matérielle. Ils reflètent une vision du monde, de la culture et des valeurs d’une société donnée.
Dans des sociétés occidentales largement déchristianisées, où la pratique religieuse est en chute libre, on pourrait croire que le respect et l’importance accordés à ces symboles seraient résiduels. Qu’il n’y aurait plus personne pour se scandaliser qu’on mette au placard les crucifix, les crèches et jusqu’au mot « Noël ».
Et pourtant ! Lorsque ce genre de controverse survient, on entend systématiquement des voix séculières prendre la défense du christianisme. Pas plus tard qu’en 2023, lorsque la Commission canadienne des droits de la personne a laissé entendre que la célébration de Noël serait « discriminatoire à l’égard des minorités religieuses », Simon Jolin-Barrette, le ministre derrière la Loi 21 sur la laïcité de l’État, fut le premier à monter au créneau à l’Assemblée nationale pour le dénoncer.
Voilà qui en dit long sur le rapport complexe que l’Occident séculier entretient avec son héritage chrétien. Autant il aime parfois prendre ses distances, pour paraître faussement « moderne » et « progressiste », autant il sait que le message chrétien reste à la source de son histoire et de ses valeurs. La dignité humaine, la primauté de la personne et l’attention aux plus vulnérables, par exemple, ne viennent pas de nulle part. Bien que leur vertu soit universelle, il suffit de regarder d’autres civilisations pour voir qu’elles ne sont pas universellement partagées ni appliquées. Sans le christianisme lui-même, les valeurs chrétiennes se flétrissent.
Si la « guerre contre Noël » déclenche autant de passions, même chez ceux qui ne croient pas, c’est parce que la majorité des Occidentaux s’identifie encore à ses racines chrétiennes, et se sent ciblée lorsque certains bien-pensants décident de s’en prendre à elles. Surtout, dans le contexte de la « guerre culturelle », elle s’inscrit dans une tendance bien plus large qui ne se limite pas à la période des fêtes, soit l’annulation progressive de l’histoire et des symboles occidentaux, dont une part significative est héritée du christianisme.
Alors que cette « guerre contre le passé », pour reprendre l’expression de Frank Furedi, semble baisser en intensité face à un ras-le-bol généralisé, peut-être serait-il aussi le temps pour l’Occident séculier de réévaluer son traitement du christianisme, et sa tendance à prendre pour acquis ses bienfaits. Face à l’esprit de négation des apôtres de la déconstruction, il est urgent de présenter une proposition positive, ancrée dans le bien commun.
Sans un rapport apaisé à la foi chrétienne, parions que cela s’avèrera impossible.
Étienne-Alexandre Beauregard est rédacteur à Without Diminishment, ainsi qu’auteur et chercheur chez Cardus. Son plus récent livre, Anti-civilisation. Pourquoi nos sociétés s’effondrent de l’intérieur, a été publié en septembre 2025 aux Presses de la Cité. Il a auparavant été rédacteur de discours et conseiller en planification stratégique au cabinet du premier ministre du Québec.



